Initialement prévue pour des faits de corruption, trafic d’influence et blanchiment de fraude fiscale, la jeune convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a vu son champ d’application étendu à la fraude fiscale et non plus à son seul blanchiment, depuis la loi SAPIN II du 23 octobre 2018.
L’essor de cette mesure de justice négociée en France dépendra nécessairement de son intérêt financier, traduit par la différence entre l’amende vraisemblablement prononcée par les juridictions pénales et celle proposée dans le cadre de la CJIP pour des faits similaires. Une attention particulière sera donc accordée à la jurisprudence des tribunaux correctionnels en la matière afin d’établir une certaine prévisibilité de la peine et ainsi de déterminer la stratégie la plus avantageuse pour la personne morale confrontée à une telle situation.
Le signal envoyé par le tribunal correctionnel de Paris le mercredi 20 février 2019 par la condamnation en première instance du groupe bancaire suisse UBS, est révélateur. L’amende historique prononcée par la juridiction de fond, avec un montant de 3,7 milliards d’euros tel que requis par le parquet national financier (PNF), est l’amende la plus importante jamais prononcée par la justice française pour des faits relatifs à de l’évasion fiscale.
Il suffit de s’intéresser à l’amende proposée dans le cadre de la CJIP préalable, proche d’un milliard d’euros, soit plus de trois fois moins que la peine prononcée par la juridiction, pour percevoir l’évidente volonté des autorités françaises d’inciter les entreprises à conclure des accords transactionnels.
L’intérêt financier n’est pas le seul enjeu sous-jacent, puisque le délai de traitement de la procédure de CJIP s’est également révélé rapide. L’économie de temps, pour l’entreprise comme pour l’institution judiciaire, est donc un autre atout évident de cette mesure.
Toutefois, au-delà de ces intérêts majeurs, la CJIP peut encore questionner s’agissant de la défense de la personne morale et du rôle de l’avocat. S’il est évident que celui-ci trouve une place de choix dans la procédure notamment dans le cadre de la négociation du montant de l’amende, en même temps que le rôle du juge est réduit à la validation de la convention, il n’est pas certain que la CJIP soit toujours une solution pertinente pour la défense. En effet, bien que les textes précisent que la mesure n’engendre pas à proprement parler de déclaration de culpabilité, la CJIP induit indubitablement une forme de reconnaissance des faits de la part de la personne morale, et la défense de ses dirigeants personnes physiques, qui demeurent responsables, pourra alors s’avérer délicate. En outre, la transaction sur la peine implique la renonciation à toute défense au fond, la procédure se passant alors de la démonstration de la réalisation de l’infraction et de la preuve de la responsabilité pénale de la personne morale mise en cause.
Enfin, face au développement de la CJIP, la question de l’application du principe de non bis in idem demeure. Si l’exécution de l’amende interdit en France toute autre poursuite pour les mêmes faits, la mise en œuvre d’une procédure étrangère similaire est-elle alors envisageable ? Dès lors qu’elle emporte une sanction pécuniaire, qu’elle fait l’objet d’une validation judiciaire, et que sa bonne exécution éteint l’action publique, il est probable que la CJIP se voit revêtir l’autorité de la chose jugée à l’échelle internationale, empêchant toute condamnation étrangère pour les mêmes faits. Toutefois, aucune décision n’a encore été rendue en la matière.
Saul Associés