Le délit d’abus de biens sociaux, bien connu du grand public, pourrait connaître un important élargissement au regard de l’article 61 du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.

Actuellement en débat devant le Parlement, il prévoit de modifier l’article 1833 du Code civil[1] en y intégrant explicitement une notion phare du droit des sociétés : l’intérêt social. Ainsi, ledit article postulerait que « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Nullement définie auparavant, la notion d’intérêt social faisait office de standard manipulé par les juges.

Ne prenant pas le risque d’en donner une définition figée, ceux-ci l’adaptaient à chaque situation. Mais si le projet est voté ainsi, ses éléments figureraient dans le marbre de la loi.

Or, le droit prospectif intègre non seulement l’intérêt direct de la société, mais aussi les aspects sociaux (notamment les intérêts des salariés) et environnementaux qu’implique une société.

L’enjeu est de taille pour l’appréhension du délit d’abus de biens sociaux. En effet, celui-ci est défini aux articles L. 242-6, 3° et L. 241-3, 4° et 5° comme le fait, pour les dirigeants, de faire des biens de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de cette dernière à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont directement ou indirectement intéressés. La violation de l’intérêt social constitue ainsi un des éléments constitutifs de l’infraction.

La Chambre criminelle interprète cette notion à l’aide du leitmotiv suivant : protéger le patrimoine de la société. Deux grandes catégories d’actes du dirigeant sont aujourd’hui considérées comme des violations l’intérêt social : un acte sans contrepartie ou un acte exposant l’actif social à un risque injustifié.

Si l’article 61 était voté comme tel, les dirigeants devront prendre garde. L’intérêt social pourrait ne plus se réduire à la société elle-même. À titre d’exemple, un dirigeant qui conclut un acte dommageable pour l’environnement et profitable directement pour lui – sans pour autant avoir une quelconque influence sur le patrimoine de la société – pourrait encourir une condamnation pour abus de bien social.

Néanmoins, on pourrait considérer que l’article 61 ne définit pas stricto sensu l’intérêt social, puisque les termes « en prenant en considération » suggèrent que les enjeux sociaux et environnementaux ne sont pas nécessairement attachés à la notion. Par ailleurs, on peut espérer que la Chambre criminelle maintiendra sa vision traditionnelle de l’intérêt social, en restant attachée à une certaine indépendance des concepts de droit pénal.

Saul Associés


[1] Aujourd’hui rédigé comme ceci : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».